Avis d’un constitutionnaliste sur la décision de la HCC …

Posted on 19 juin 2015

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regle de droit2Mon ami Roger Rabetafika (Thx Roger) nous  fait passer ce texte d’un constitutionnaliste Aixois.
Dans l’imbroglio actuel, teinté d’hystérie, de mauvaise foi et maquillé de juridisme, il était intéressant d’avoir l’avis d’un juriste expert qui, bien qu’attaché à Madagascar, pouvait faire preuve d’une certaine objectivité et impartialité.  

La Haute Cour Constitutionnelle et la procédure de destitution présidentielle.

Les 12 et 13 juin 2015, la Haute Cour Constitutionnelle de Madagascar a rendu une décision et un avis, respectivement à la demande des parlementaires et du Premier ministre, qui s’analysent comme un langage de répliques des uns à l’autre. Cette décision et cet avis vont dans le même sens en estimant, entre autres, que la procédure de destitution présidentielle n’est pas fondée et que les institutions doivent continuer à œuvrer dans le respect de la Constitution.

Coup d’Etat ou crise institutionnelle ?

Cette énième crise institutionnelle laisse, objectivement, le pays encore un peu plus fragile qu’il ne l’était dans l’étape précédente. Il y a une réalité pathologique de la gouvernance malgache : celle d’un malade faisant face à de multiples rechutes de plus en plus graves et rapprochées et qui ne disposerait que d’anticorps de moins en moins résistants. Comment transformer le cycle vicieux des crises en un cycle vertueux ? Aucune réponse ou début de réponse n’est donnée actuellement, même si les positions de la HCC vont dans le bon sens. Le poison de la défiance, la force négative de la corruption, l’incapacité de répondre aux besoins de développement, tant de la part des autorités malgaches que de la communauté internationale, s’installent tous les jours un plus profondément. Le peuple malgache, qui est dans toutes les bouches, est une réalité nominale, qui ne vaut que comme une instance de référence justificatrice de l’accession au pouvoir et une fois le sésame électif obtenu, il est oublié ou bien peu pris en compte. Le peuple a conscience de son sort dégradé et sait la distance qui le sépare de l’élite nationale mais il ne la sanctionne pas, ni par la force, ni par les urnes.

Cette crise ne peut pas être assimilée à un coup d’Etat, dès lors que les armes n’ont pas été brandies et que la volonté de ne pas respecter le processus institutionnel n’est pas établie. Du moins, la saisine de la HCC en atteste, soulignant le choix d’une voie de droit pour résoudre la mésentente profonde entre l’exécutif présidentiel et certains députés de la chambre basse. Il faudrait en tout état de cause respecter l’autorité attachée à la décision et à l’avis, même s’ils ne vont pas dans le sens souhaité.

                Il est déraisonnable et cela porte atteinte au caractère irrévocable de la décision prise de vouloir mettre en cause le juge constitutionnel, pour suspicion légitime. Mais le faire sur le terrain du droit confirme, malgré tout, un attachement apparent au droit.

Une Constitution dédiée à la protection de l’Etat de droit

Ce ne sont pas les instruments de la démocratie et de l’Etat de droit qui manquent à Madagascar. La Constitution de la IVème République présente nombre d’éléments qui le rattachent aux textes constitutionnels des démocraties contemporaines. Elle est même innovante en ce qu’elle prévoit – pour d’évidentes raisons de défiance – que les principaux pouvoirs institutionnels peuvent être contraints à la démission.  Classiquement, le Gouvernement peut être frappé d’une motion de censure (article 103) ou démis sur décision du Président (article 54) et, corrélativement, l’Assemblée nationale peut être dissoute par le Président (article 60). En revanche, établir la possibilité d’une destitution présidentielle est une hypothèse constitutionnelle plus rare et plus discutable, dès lors que le Président tire sa légitimité d’une élection au suffrage universel direct et que sa mise en cause est, sans respect du parallélisme des formes, établie au terme d’une procédure institutionnelle. La destitution (article 41) et l’empêchement (article 50) du Président de la République sont deux modalités très différentes de terme précoce du mandat présidentiel. La première est l’expression d’une interdiction pour faute politique grave alors que la seconde est liée à une incapacité d’exercice du pouvoir, pour des raisons d’ordre physique ou mental. Dans le précédent du Président Albert Zafy (HCC, 4 septembre 1996), la distinction entre les deux modalités fut floue car c’est au terme de la procédure de l’empêchement que le Président Zafy fut démis, mais sur la base de fautes graves (notamment la promulgation tardive des lois).

Cet enchevêtrement des procédures de mise en cause est-il l’expression de mécanismes institutionnels d’équilibre politique, le Sénat devant être mis à part néanmoins car il est la seule institution qui n’est pas politiquement responsable, ou la porte ouverte à des manipulations et contestations politiques sans fin ? La question peut et doit être posée dès lors que les députés, quelle que soit la légitimité de leur opposition au Président, ont estimé – « faute de grive » – pouvoir poursuivre la censure du Gouvernement (« le merle »). C’est bien l’objet de l’avis de la HCC qui a décidé l’impossible cumul de mise en cause des deux branches de l’exécutif. Cette pluralité de moyens constitutionnels de mise en cause des différentes institutions politiques soulève un paradoxe démocratique : l’actuelle Constitution n’est-elle pas, au nom des exigences de l’Etat de droit, un des facteurs de la crise ?

Une démocratie en transition

Il ne peut pas être dit que l’Etat malgache est sorti de la transition même si une nouvelle Constitution a été adoptée par référendum et que les députés, ainsi que le Président de la République, ont été élus au suffrage universel. La transition demeure dès lors que les principales instances ne sont pas installées : le Sénat et la Haute Cour de Justice. Il est possible d’argumenter juridiquement que la mise en place du Sénat relève plus d’une disposition transitoire que transitionnelle, car elle est prévue par la Constitution du 11 décembre 2010 (article 166,  3ème al.) et permet ainsi à l’Assemblée d’exercer « la plénitude du pouvoir législatif ». Mais ce transitoire s’installe maintenant dans la durée : bientôt 5 ans. Il impacte d’autres secteurs que l’exercice du pouvoir législatif, notamment s’agissant de la composition de la HCC où la représentation des nouveaux sénateurs fait défaut, et le contrôle de l’activité gouvernementale.

Certes, un mouton peut progresser sur 3 pattes (Président / Gouvernement/ Assemblée nationale) mais il peut courir sur 4.

Une HCC politique ?

Dans cette affaire, la HCC était au centre du conflit – avec une pression médiatique considérable – et il est illusoire voire hypocrite de lui reprocher d’être ou d’avoir été un acteur politique car le conflit l’était. En fait, il s’agit de savoir si elle a répondu avec les moyens du droit à la question posée. En effet, une Constitution est un texte vivant dans le sens où les questions posées ne trouvent pas toutes des réponses exactes dans le texte constitutionnel et qu’un exercice d’interprétation doit être mené. Cet exercice de politique juridique répond-il aux canons de l’interprétation constitutionnelle ? Telle est la question. Il peut être répondu par l’affirmative mais dans une perspective globale, dans le sens où il convient de lire ensemble la décision et l’avis. Isoler l’une de l’autre et chercher un sens à la seule décision est plus délicat.

Lorsque la HCC a été amenée, à deux reprises, à préciser le sens de l’expression « parti ou groupe de partis majoritaire », au sens de l’article 54, faut-il considérer qu’il était possible ou impossible de faire œuvre de politique juridique ? Ce qui compte c’est la nature du raisonnement et le respect des règles de l’interprétation juridique.

Par son avis du 17 février 2014, la HCC avait expliqué que l’expression litigieuse de l’article 54 devait s’entendre comme excluant les députés non apparentés du choix du PM et exigeant que les groupes fussent constitués avant même leur élection. Une interprétation possible, et même assez attachée à la lettre de la Constitution, mais politiquement désastreuse car elle pouvait conduire à ce que le PM fût présenté au Président par une minorité parlementaire. La décision du 14 janvier 2015 a repris la notion dans un sens beaucoup plus conforme à la pratique parlementaire et n’excluant pas les députés indépendants. Elle a estimé que l’expression devait s’entendre d’une majorité parlementaire stable.  LA HCC s’est même inspiré, pour soutenir sa nouvelle interprétation, des régimes étrangers (ici la Constitution allemande). Avait-elle pour autant fait œuvre politique ? Non, car elle s’est inscrite dans les canons du droit et dans le cadre de la Constitution.

Classiquement, pour revenir à la décision du 12 juin 2015, souscrivant à un raisonnement juridique, la HCC s’est fondée sur trois considérations : la compétence de la Cour, la recevabilité de la requête et le fond des reproches. Ces trois composantes de l’analyse sont successives, car le défaut de la compétence et/ou de recevabilité empêche de se prononcer au fond. Il ne faut pas confondre décision politique et politique juridique, qui relèvent de champs discursifs et disciplinaires parfaitement différents. La politique juridique est un travail d’interprétation, qui joue en l’occurrence sur la façon dont les moyens de droit sont traités. Mais reprocher à la HCC de ne pas reconnaître le bien-fondé des prétentions au fond s’analyse « au mieux » en une erreur de droit mais pas comme un acte politique. Ou alors tout est politique, même faire la cuisine ou dire la messe. Et donc rien ne l’est.

Compétence, recevabilité et fond.

La question de la compétence de la HCC était relativement délicate à établir. Il convient de partir des trois séries de compétences de la HCC : la compétence de décision de déchéance, la compétence de constatation de la vacance, la compétence comme juge de la conformité objective à la Constitution.  Etre désigné comme juge compétent signifie en droit avoir un certain type de pouvoirs qui, en l’espèce, ne se recoupent pas. En effet, constater la vacance n’a rien à voir avec la compétence de destitution, par substitution à la HCJ, ni avec celle de conformité à la Constitution.

Deux difficultés se présentaient. La première consistait à déterminer si l’article 167 de la Constitution, qui prévoit la compétence de jugement du Président, pour faute grave, par la HCC en raison de l’absence d’installation de la HCJ, était applicable. Il s’agissait aussi de déterminer la procédure applicable devant la HCC, dès lors que la loi organique 2014-043 relative à la HCJ, très précise et d’une belle clarté malgré sa technicité, ne mentionnait aucunement la procédure à suivre devant la HCC, ni même sa compétence.

La HCC a retenu sa compétence, en tant que juge pénal par défaut, estimant sans doute avec raison que la procédure de destitution présidentielle était de « nature pénale ». Si l’on peut souscrire – bien qu’avec une légère hésitation – à cette qualification pénale, c’est au motif que la peine dont est passible le Président est de nature politique : il est destitué. Si l’on compare les sanctions qui relèvent du code pénal, que la HCJ, ou la HCC par défaut, peut prononcer à l’égard des autres justiciables qui sont de leur ressort (Présidents des assemblées, Premier Ministre et membres du Gouvernement, Président  de la HCC), il y a lieu effectivement de distinguer deux formes de procédure, dont la nature pénale est plus ou moins prononcée. La destitution présidentielle est une sanction politique et non pénale. Mais il est exact de dire que l’environnement de la procédure de destitution est de nature pénale. C’est pourquoi, du reste, il est discutable d’avoir écarté le moyen relatif à la CENIT sur la base de l’incompétence du juge constitutionnel, car il s’agit d’une réponse qui relève de la HCC juge constitutionnel, alors que la HCC était ici saisie comme juge pénal.

La requête parlementaire, de façon surprenante, ne contenait aucun moyen sur le bien-fondé de la compétence de la HCC et ne développait que des moyens de fond.  Cette compétence, malgré la lettre de l’article 167, 2ième al., la confirmant, n’est pas sans difficulté à établir. En effet, elle se définit « à titre exceptionnel » – ce qui mérite une explication sur l’existence ou non de cette exception – mais surtout elle ne vise que le Président de la République et non les autres justiciables de la HCJ. En clair, il y a un traitement différencié (discriminatoire ?) entre le Président qui peut être jugé par la HCC et les autres justiciables qui ne le peuvent pas. Pourquoi ? Quoi qu’il en soit le texte donne un sens favorable à la compétence de la HCC, malgré d’évidentes ambiguïtés.

La recevabilité est donc le second temps de l’analyse conduite par la HCC. Et de ce point de vue, la HCC a levé la seconde des difficultés en admettant, et à raison, que la procédure applicable devant celle-ci était d’ « interprétation stricte et non analogique », soit l’application à la lettre de la loi organique sur la HCJ. Là encore, les parlementaires n’ont pas cru bon de développer les moyens relatifs à la recevabilité comme si elle allait de soi. Il n’en va rien.  Il faut dire que c’est là l’aspect le plus surprenant de la requête et le moins fondé. L’irrecevabilité de la requête est, en effet, manifeste. Aucune des étapes de la procédure de destitution n’a été respectée. A commencer par une requête en destitution qui doit être initiée par une association de citoyens légalement constituée, soit une requête citoyenne, et non, comme cela l’a été directement, par un groupe de parlementaires. Une commission de requête doit être constituée au sein de l’Assemblée pour juger de la recevabilité. Elle ne l’a pas été. Une commission d’enquête doit l’être aussi. Elle ne l’a pas été. Une chambre d’instruction doit être composée. Elle ne l’a pas été. Une communication au procureur général de la Cour suprême du dossier doit être réalisée pour qu’il rende ses réquisitions et saisine la HCJ/HCC, qui enfin peut se prononcer au fond.

Aucune de ses étapes n’a été respectée. La HCC est peut être compétente mais l’affaire n’est pas recevable et les députés de l’Assemblée nationale n’ont pas respecté le texte organique qu’ils ont voté.  L’irrecevabilité est si grossière, peut-on estimer, qu’elle rend l’acte de saisine de la HCC inexistant. Si l’acte est inexistant, il n’y a pas lieu de discuter de la compétence de la HCC… Et pourtant la HCC a retenu la recevabilité de la requête au terme d’un raisonnement qui ne convainc pas. Pourquoi ? La réponse est claire. Pour répondre à la pression politique et démontrer par le menu, argument après argument, que la requête est non-fondée au fond. Ici effectivement se situe la politique juridique de la Cour : choisir de répondre au fond alors que l’irrecevabilité relevait de l’évidence.

Et le bien-fondé des moyens ? La HCC ne pouvait effectivement que retenir le mal-fondé des moyens. Et aucune des argumentations avancées par la HCC n’est discutable car les moyens reprochaient des éléments de violation de la légalité constitutionnelle mais ils ne s’apparentaient en aucune façon à la faute grave, répétée et à la haute trahison.

En clair, le sens à donner de la décision est acceptable dans le fond, quelle discutable  que soit la question de la recevabilité. L’avis doit recevoir une semblable appréciation.

Un nouveau principe de droit constitutionnel : la non-régression de l’Etat de droit

Face à la volonté redoublée de « faire tomber » tous azimuts le pouvoir exécutif, la HCC a justement considéré, dans son avis, qu’accepter de faire droit à une procédure de censure du gouvernement conduirait à un régime d’assemblée, soit à une confusion des pouvoirs en faveur de l’Assemblée, qui est provisoirement de surcroît dans une situation exceptionnelle de chambre monocamérale.

La HCC a innové en considérant que le principe de non-régression, qui a été mis en lumière dans le domaine du droit international de l’environnement par le Professeur Michel Prieur, s’appliquait pleinement à la situation. A notre connaissance, c’est la première consécration universelle de ce principe qui néanmoins procède du bon sens. Alors que l’Etat est fragilisé (absence de Sénat, de la HCJ), il est des procédures qui doivent être mises en veilleuse car leur usage pourtant prévu par le texte constitutionnel conduirait à une situation de régression de l’Etat de droit. L’idée est qu’il existe une sorte de noyau dur institutionnel qu’il n’est pas possible d’entamer sauf à empêcher l’Etat de pouvoir sortir de la crise dans laquelle il est placé et lui faire œuvre de résilience. L’idée sous-jacente, qui est très innovante, reste dans les canons de l’interprétation du droit. Lorsqu’une prérogative existe parce qu’elle est consacrée par le droit, elle ne peut être reconnue si elle excède des limites explicites et/ou implicites (ici le principe de non-régression découle de l’esprit plus que de la lettre) et si elle est témoigne d’un abus de procédure ou de droit.

C’est ainsi que le mouvement entre la décision et l’avis, se rejoint. La décision ne se comprend, dans son dispositif, que si l’on considère qu’elle fixe, bien au-delà du mal-fondé des moyens de destitution, trois obligations ultra petita (au-delà de la requête) : plein exercice des fonctions, séparation des pouvoirs et pacte de responsabilité. Il faut comprendre, d’après nous,  que les institutions perdent le temps de la transition (absence de Sénat) le droit de mobiliser les instruments de défiance constitutionnels, qui ne sont pour l’heure pas adaptés à la situation. D’où l’appel fait à un pacte de responsabilité, qui est la suite logique du principe de non-régression de l’Etat de droit. Certes, cet appel sort du cadre qui s’impose strictement au juge constitutionnel et relève du champ politique. Mais, bien qu’il soit en étroite relation avec le principe de non-régression, il ne peut être doté que d’une force indicative.

Quelle est l’autorité du juge constitutionnel ?

L’autorité du juge constitutionnel rejoint l’autorité de la loi et du droit, pour des motifs de raison et de culture démocratique. Le juge constitutionnel est institué sur la base d’un pacte social qui trouve à son origine le peuple et qui a pour centre d’intérêt la protection de la Nation. Plus concrètement, les décisions du juge constitutionnel sont irrévocables, sauf à modifier la Constitution et les avis sont de portée consultative mais revêtus d’une autorité morale considérable. Cela conduit à faire du juge un « pouvoir », mais pas au sens politique du terme, car il doit exercer ses prérogatives dans le respect de la Constitution et de façon indépendante et impartiale. Il n’a pas de programme politique mais un programme constitutionnel. Il ne peut pas proposer de solutions politiques (ex. dire que tel candidat est politiquement apte ou inapte à la fonction politique) mais il se doit de décrire les règles de droit constitutionnel, qui s’imposent dans le champ démocratique, et qui fixent le cadre d’exercice du pouvoir. L’enjeu de son office consiste à poser que dans la vie publique, s’il est des multitudes de paramètres, le paramètre constitutionnel est indépassable.

 

Laurent Sermet

Professeur à l’Université Catholique de Madagascar et à l’Institut d’Etudes politiques d’Aix-en-Provence.

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