Plaidoyer pour l’édition malagasy …

Posted on 18 octobre 2015

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Lecture

Par Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule)

Il y a 50 ans, à Saint Michel, on nous apprenait que nos ancêtres étaient gaulois, que les hirondelles et les cerisiers en fleurs décrivaient le printemps,  que l’été signifiait la blondeur des champs de blé… que parler de l’automne c’était raconter les giboulées, les marrons et les feuilles rousses volant au vent … et que l’hiver voyait des enfants perdus sur des chemins enneigés. Et je n’ai compris que tardivement que c’était d’aberrantes bêtises éducatives. Nous apprendre les rizières et raconter  l’histoire des royaumes de Madagascar aurait été peut-être plus approprié. Mais au bout du compte, aujourd’hui, 50 ans après, ce  qui est fourni aux enfants malgaches est il toujours vraiment plus adapté ?

C’est le questionnement auquel m’a mené le plaidoyer pour l’édition malgache de Marie Michèle Razafintsalama rencontrée lors d’une conférence sur le thème du Don de livres. La présidente de l’Association des Éditeurs de Madagascar (A.Edi.M) qui voulait sensibiliser les acteurs de la solidarité de la diaspora, nous faisait toucher du doigt les effets pervers du don de livres qui pollue plus qu’il ne favorise le développement des savoirs de base.

On sait l’environnement socio-économique à Madagascar particulièrement délabré. Les fondamentaux sociaux ont le plus grand mal à être pris en charge par un État défaillant, qui voit 85% de ses fonds consacrés à l’éducation financés par les bailleurs. L’intervention  solidaire à travers les associations de personnes et les ONGs locales ou internationales s’y avère de fait (malheureusement) indispensable.

Dans cette lutte contre la pauvreté, les réflexes s’éveillent naturellement sur des logiques de moyens « Donner, donner, donner … Il en restera toujours quelque chose ». On pourrait se réjouir de ces « pensées positives ». Mais il est patent qu’on se donne trop souvent bonne conscience à bon compte. Il est plus facile de donner au « pauvre un poisson » que de s’épuiser au « comment lui apprendre à pêcher ». Ici, en l’occurrence le don en général et le don de livres en particulier s’avèrent bien plus néfastes pour le pays cible de ces « générosités » que les donateurs ne l’imaginent a priori.

Une amie me faisait part il y a peu de sa frustration : « J’ai collecté 3 m3 de livres auprès d’écoles, de libraires, de dons d’amis pour les envoyer dans les écoles à Madagascar. Des livres neufs pour la plupart, qui évitaient le pilon ou véritablement achetés. Je les ai retrouvés pourrissants dans des cartons tout juste ouverts ». Il lui en avait coûté un peu plus de 2 000€ pour en assurer le colisage, l’expédition, le dédouanement… Et cet exemple n’est malheureusement pas exceptionnel. Mais allez lui expliquer que son altruisme n’était pas nécessairement bien placé.  D’autant que si la grande masse de dons  « inutiles » relèvent des ouvrages destinés aux premiers cycles, l’enseignement supérieur ne bénéficie pas d’autant d’attentions. Le don d’ouvrages pour le supérieur aurait pourtant un tout autre intérêt et impact.

Les statistiques import des douanes de 2014 caractérisent ainsi 524 tonnes de dons de livres (ONGs, Associations, congrégations, …), pour une valeur de 3,8  milliards d’ariary (soit 1 million d’euros). Le montant estimé des coûts de transport de ces dons de livres est estimé à quelque 2,4 milliards d’ariary  (soit 660 000€) !!!  Et selon une étude qui couvre la période 2003 à 2012, ces chiffres sont encore en croissance.

Garnir de livres venant de l’extérieur les bibliothèques d’écoles ou les bibliothèques communales malgaches est en fait une démarche qui relève des années 70. Alors même qu’on tentait une malgachisation de l’enseignement…. Curieuse aberration … Encore une. Mais ce système, qui diffuse des livres qui ne répondent pas aux besoins de la grande majorité des lecteurs, freine le développement de la lecture chez l’enfant et l’adolescent malgaches… On a exactement l’effet contraire de celui attendu !!!

D’autant que ce système de dons nuit gravement au développement de l’édition locale, d’une part, en saturant  le marché d’une production venue de l’extérieur et, d’autre part, en offrant l’illusion d’une littérature de « qualité ». Fait aggravant, les libraires malgaches traînent des pieds quand il s’agit de vendre une production éditoriale locale jugée « oui, mais ça fait pas assez sexy dans les rayonnages »  Et malgré un plaidoyer international, le système perdure faute de soutien de l’Etat pour l’enrayer.

La bibliodiversité malgache est pourtant une forme de diversité à préserver. Depuis 1960, l’édition malgache recense 5.150 livres édités, mais il n’y aurait en fait que 1.786 titres disponibles. Et 40% d’entre eux sont des ouvrages  religieux. Et le tirage moyen d’une édition malgache reste de l’ordre de …500 exemplaires !!!  .

Les données sont troublantes : 23.500 établissements primaires ont, parait-il, bénéficié de la bibliothèque minimale mise en place par le Ministère de l’Éducation en 2008. Mais en fait, faute de salle et de formation de bibliothécaires, très peu fonctionnent effectivement. Il n’y aurait ainsi que 700 bibliothèques fonctionnelles:.. 700 bibliothèques dont les livres neufs attendent sagement et joliment rangés dans les armoires. Et des 100 centres de lecture implantés en milieu rural, seuls 30 sont en fonctionnement. Et 80% des livres dans ces centres ruraux sont en … français…

On sait pourtant que le vocabulaire et les structures acquises lors de l’apprentissage du langage oral sont des fondations essentielles pour l’apprentissage de la lecture. Avec 92% de la population en dessous du seuil de pauvreté, un taux  de scolarisation en primaire en baisse et 78% des jeunes vivant en milieu rural, l’enjeu est crucial qui rêve d’offrir  l’apprentissage le plus étendu des fondamentaux en termes d’écriture. Mais sur une population majoritairement monolingue, il est évidemment aberrant de penser que les apprentissages de base puissent se faire en français. Apprendre à extraire la signification d’un texte est un savoir-faire complexe en lui-même. Et c’est parce qu’il s’agit d’apprentissages complexes que la lecture et l’écriture doivent représenter des activités naturelles. « Apprendre à lire pour lire » n’est pas intéressant pour l’enfant. Faut-il qu’il y trouve un intérêt… Et des références auxquelles il peut se raccrocher.

Reflet des errances de la gouvernance politique, les programmes d’acquisition des fondamentaux ont souffert de sempiternelles remises en question. Elles représentent elles-mêmes l’absence de vision et le manque de cohérences des politiques menées sur le plan économique et sur le plan social.

Les tergiversations de la langue officielle d’enseignement est, par exemple et en particulier,  probablement l’un des facteurs aggravants du sous-développement du pays. Les tentatives de malgachisation ratée – parce que mal préparée,  mal vendue, mal vécue, mal menée et malmenée – illustrent les démissions et les errances du passé. La langue officielle d’enseignement en primaire, généralisée en malgache pour le primaire en 2008, n’avait-elle pas fait l’objet de l’une des toutes premières décisions de la Transition en mars 2009 : à savoir, rétablir la primauté du français ? … Vous avez dit bizarre ?

Dans un pays où la langue officielle est double, le bilinguisme est de toute façon de mise. Mais l’apprentissage précoce et solide d’une deuxième langue ne peut évidemment se bâtir que si la maîtrise de l’écriture de la langue principale -celle qui est parlée à la maison- est strictement assise.

Les écoles privées en milieu urbain, répondant à la préoccupation des parents « mon enfant doit faire de bonnes études, donc il les fera en français pour aller le plus loin possible (y compris de l’autre côté de la mer) », leur offrent un enseignement qui privilégie le français en langue d’apprentissage de l’écrit. Cela instaure bien évidemment de nouvelles inégalités face au savoir. Une jeune fille qui m’est proche, venue en France finir ses études, m’avouait avoir appris à lire et écrire à l’école (privée) en français. Ses parents avaient eu les moyens de rester vigilants quant à sa maîtrise du malagasy … à travers la lecture de la bible. Mais si elle disait avoir beaucoup lu, elle me disait aussi n’avoir lu de manière quasi exclusive qu’en français… sauf la bible … faute d’une production en malgache visible, diversifiée, séduisante … y compris facile et accessible … comment dit on collection Arlequin en malgache déjà ? … C’est vrai, il n’y a plus de gares … C’est peut-être pour ça qu’il n’y a pas de romans de gare en langue malagasy.

Il n’est pas question ici de plaider pour l’abandon du français. La réelle maîtrise de deux langues, le bilinguisme est une vraie plus-value et une vraie force dans la mondialisation actuelle. Il serait temps d’en être convaincu. Mais il s’agit de plaider pour une production éditoriale locale forte. L’avenir du pays passera aussi par la plus grande bibliodiversité gasy, du livre d’apprentissage au roman d’aventures ou à l’essai en passant par le livre pour enfants.

La charte du Don du Livre de l’UNESCO énonce en particulier  « La définition de tout programme de don de livres s’appuiera sur les principes généraux suivants : connaître et associer l’organisme partenaire à toutes les étapes du programme ; préférer la qualité à la quantité ; approfondir la connaissance des lectorats à servir ; encourager le développement d’une culture de l’écrit; dans le cas de donation en ouvrages neufs;  collaborer autant que possible avec les éditeurs et les libraires des deux pays concernés et contribuer à la production locale d’ouvrages en soutenant la production artisanale d’ouvrages à faible tirage ; intégrer les livres locaux dans les dons pour soutenir le développement de l’édition locale et répondre aux besoins ; privilégier les dons en numéraire pour les associations locales afin de favoriser un achat local ; recourir  à l’expertise des professionnels locaux pour la constitution du fonds pour une bibliothèque ; accompagner la formation des bibliothécaires dans la langue nationale, formation axée en priorité sur l’animation

En bref, « généreux donateurs » : ne donnez plus de livres (ou à la rigueur destinés au supérieur) … Achetez, local en concertation stricte avec les acteurs locaux … ou sponsorisez l’édition locale.

Parce qu’au bout du compte, il s’agit encore et toujours d’une question plus générique quant à l’impact et à l’intérêt des « générosités » de l’extérieur. Si des logiques de survie nous bouleversent, le développement n’a pas tant besoin de générosité, que de respect. Et en l’occurrence le respect c’est  « faire avec » et non pas « faire à la place de » …

Bien à vous tous …

Patrick Rakotomalala(Lalatiana PitchBoule)

PS : tous mes remerciements à Marie Michèle Razafintsalama, présidente L’Association des Éditeurs de Madagascar (A.Edi.M) pour cette information et pour ses données

PS : … Et le premier qui vient s’étonner d’un : « tiens un plaidoyer pour l’édition malagasy écrit en français » aura affaire à moi:-)

 livre-diversité

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